L’Âge des low tech, de Philippe Bihouix

Notes de lecture Lecture: 60'

Thème(s)

Low tech • Matières premières • Développement durable • Capitalisme

Publication de l'article

Thomas Wicht
Publié le: 28.10.2019
Révisé le: 27.07.2023

Sujets de l'article

Thème(s)

Low tech • Matières premières • Développement durable • Capitalisme

Publication de l'article

Thomas Wicht
Publié le: 28.10.2019
Révisé le: 27.07.2023

Les technologies vertes seraient en mesure de sauver la planète et la croissance. Mais dans quelles conditions peuvent-elles le faire ? Ne génèrent-t-elles pas des dégradations environnementales qui permettent de douter de leur promesses ? Dans L’Âge des low tech, l’ingénieur Philippe Bihouix questionne les technologies promues comme solutions à la crise environnementale et explore les voies possibles vers un système économique soutenable dans une planète finie.

Introduction

Au cours du XXe siècle, les progrès technologiques ont été extrêmement importants. Le siècle a vu la délocalisation de la pollution vers les pays émergents, liée à la désindustrialisation des pays occidentaux, ou encore la mondialisation dans tous les domaines économiques, provoquant des absurdités telles que des crevettes pêchées au Danemark avant d’être envoyées au Maroc pour être décortiquées puis revenant sur les étals français. La raréfaction des ressources se fait désormais sentir, accompagnée des grands discours au sujet du « développement durable » censé répondre aux défis écologiques. Pourtant, partout on assiste à l’explosion de la consommation, de la pollution, des déchets et de la destruction irréversible des ressources naturelles. La consommation des pays riches tire vers le haut celle des pays émergents qui produisent pour eux, ainsi de la Chine que l’on surnomme à raison « usine du monde ».

L’innovation, l’expérimentation et l’invention ont toujours joué un rôle important depuis des millénaires, mais une accélération énorme s’est produite au XIXe et au XXe siècle, au prix, dénonce l’auteur, d’une « pollution et d’une destruction sociale et environnementale sans précédent, dont nous ne maîtrisons plus les conséquences ».

Dans cet ouvrage, Philippe Bihouix analyse en profondeur les causes de la crise environnementale, économique et sociale actuelle et détermine les raisons qui nous ont poussé jusqu’ici. Sa proposition est à contre-courant des discours habituels, car elle ne consiste pas en une sortie « vers le haut » par la multiplication des hautes technologies, mais bien en une « marche forcée vers une société essentiellement basée sur des basses technologies ». L’ouvrage s’attache ainsi à démontrer que les high tech n’apportent en effet pas la solution, car elles ne font qu’intensifier le problème ou provoquer de nouvelles pénuries.

Technique et pénuries de ressources dans l’Histoire

Lorsque l’on écoute le discours actuel relatif aux différents défis environnementaux, force est de constater que l’on nous dépeint un futur idéal fait de mobilité et de connectivité, fondé sur des technologies soit-disant « vertes » telles que les énergies renouvelables à grande échelle, la voiture électrique ou à hydrogène ou encore les réseaux d’énergie intelligents (« smart grids »). Il faut avouer que, même si ces moyens formidables peinent à se déployer, des solutions ont jusqu’ici toujours été développées pour « repousser les pénuries de ressources »… à condition de fermer les yeux sur les « destructions naturelles et pollutions engendrées » qui n’ont jamais été si larges qu’aujourd’hui. Afin de poser les bases de son analyse, l’auteur mène donc une description détaillée des différents défis relevés et évolutions réalisées au cours de l’Histoire dans les principaux domaines techniques.

Dans l’imaginaire collectif, la période du paléolithique avec ses populations de chasseurs-cueilleurs représente un âge de ressources abondantes et locales. Mais l’auteur rappelle que l’on a pu montrer que déjà à l’époque, certaines ressources étaient rares et précieuses, telles que le silex qui était en réalité issu de quelques sites pouvant parfois être très lointains. Pour son alimentation, l’être humain a provoqué de nombreuses extinctions d’espèces animales, entre autres par l’utilisation du feu pour la chasse qui a produit une déforestation importante. Philippe Bihouix estime donc que le paléolithique a dû être fait de périodes d’abondance (découverte de nouveaux territoires) alternant avec des périodes de disette (ressources locales épuisées). En termes de ressources non alimentaires, les pénuries et la surexploitation sont rapidement apparues avec le développement des grandes civilisations. On peut citer comme exemple le pourpre, coquillage méditerranéen utilisé pour teindre les toges des sénateurs romains, qui a pratiquement disparu aujourd’hui.

L’énergie

Au cours de l’Histoire, la disponibilité en ressources énergétiques a toujours été primordiale, car l’énergie est nécessaire à la transformation et au transport des autres ressources. L’auteur précise que jusqu’à tard dans le XIXe siècle, le charbon n’était utilisé que sporadiquement. Ceci a changé avec l’invention de la machine à vapeur, qui a permis d’accéder à des ressources bien plus grandes. Depuis, la consommation de charbon n’a presque fait qu’augmenter et celui-ci est encore aujourd’hui la 2e source d’énergie au niveau mondial, juste après le pétrole. Ce dernier fut utilisé au départ pour répondre à la pénurie d’huile de baleine, avant de se voir offrir un débouché par le développement du moteur à combustion. L’énergie nucléaire, quant à elle, reste anecdotique (5%) et n’a dû son développement qu’à l’intérêt militaire du plutonium produit par les réacteurs.

Les métaux

Comme l’explique Philippe Bihouix, les mines de métaux sont abandonnées et de nouvelles mines sont ouvertes au gré du coût de l’extraction. Une fois la ressource devenue trop peu concentrée, on va la chercher ailleurs (par exemple l’or, que l’on est allé extraire en Afrique une fois les mines européennes épuisées, puis en Amérique, Australie, Sibérie… Ce mécanisme continue aujourd’hui). Les percées technologiques (explosifs, mécanisation) permettent également de faciliter l’extraction et donc de rendre rentables des ressources moins accessibles. La substitution joue aussi un rôle, à l’image du cobalt remplacé par l’outremer artificiel moins cher vers 1830 ou des plastiques qui remplacent maintenant les métaux. Cependant, malgré les substitutions, la consommation de métaux a fortement augmenté dans les dernières décennies.

La chimie industrielle

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les produits animaux étaient à la base de beaucoup de produits d’industrie et de consommation courante. Il y avait donc des limites à la production, liées à la surface nécessaire et à la productivité des terres. On s’est alors approvisionné (et ce dès l’Antiquité) dans des territoires de plus en plus lointains pour suivre l’augmentation de la consommation. Cependant, la surexploitation et le déboisement provoquaient déjà la diminution des ressources animales telles que les fourrures. C’est ainsi surtout le développement de la chimie qui a répondu à la demande. Le procédé Leblanc, conçu en 1789 et permettant de produire de la soude à partir de sel au prix d’une pollution et d’une consommation énergétique énormes, a stimulé l’apparition des usines chimiques dont les rejets allaient atteindre pour la première fois les campagnes. Plus tard, d’autres développements ont fourni des substituts issus du pétrole ou du gaz aux matières naturelles: les plastiques, fibres synthétiques, caoutchoucs. Toutefois avec un fort impact environnemental ainsi que, pour la première fois, des déchets non biodégradables et fortement polluants.

Les matériaux de construction

L’auteur indique que dans ce domaine le défi se place plutôt en termes de qualité que de quantité: les matériaux de construction principaux sont disponibles en quantités énormes à l’échelle mondiale, mais les qualités recherchées sont rares. On peut prendre pour exemple Dubaï qui importe du sable d’Australie car le sable du désert est trop rond pour le béton de ses gratte-ciels…

Philippe Bihouix précise ici que globalement, à part quelques substitutions il n’y a pas eu beaucoup d’évolutions en termes de matériaux pour la construction, mais plutôt des perfectionnements et des améliorations de processus.
L’utilisation massive du bois pour la construction ou l’énergie a provoqué des déforestations massives. Ici aussi, on a exploité des forêts toujours plus éloignées et profité des innovations technologiques (tronçonneuse, mécanisation du transport) et de substitutions (PVC, aluminium). L’auteur fait notamment remarquer que l’exploitation du bois pour les traverses de chemin de fer a failli faire disparaître les forêts américaines, paradoxalement sauvées par le développement de la voiture.

La production et le stockage des aliments

Les terres arables représentent également une ressource non renouvelable car, si l’on ne veille pas à les préserver, elles disparaissent par érosion, salinisation ou épuisement. Les innovations technologiques visant à augmenter la productivité ont été nombreuses au cours des âges: fumier, charrue, systèmes sans jachère… Puis, la mécanisation et l’utilisation de fertilisants artificiels ont eu des conséquences environnementales importantes (eutrophisation des rivières, mort biologique des sols, émissions de gaz à effet de serre).

Le développement au cours du XIXe siècle des techniques de conservation (mise en conserve) et de stockage (réfrigération, surgélation) a permis de répondre aux pénuries et de transporter les denrées sur de longues distances, autorisant ainsi de ravitailler les régions trop peuplées pour que leurs territoires supportent la charge agricole. Puis, dans les années 1950, la conteneurisation change radicalement l’échelle des échanges mondiaux en réduisant drastiquement le temps de chargement et déchargement des bateaux et donc les coûts. C’est l’explosion de la mondialisation et le début de l’externalisation des pollutions: on importe des produits finis plutôt que des matières premières, ce qui permet notamment de consommer sans en subir les conséquences environnementales directes. L’auteur fait notamment remarquer que nos campagnes seraient bien différentes et ressembleraient aux paysages des zones industrielles chinoises, « s’il avait fallu y monter ces dernières années les nouvelles usines – et assumer leurs rejets – correspondant à notre consommation exponentielle de téléphonie et d’informatique, de jouets, de vêtements, ou de produits chimiques ».

Conclusion du chapitre

Ainsi que brièvement exposé ici, Philippe Bihouix montre donc que la période de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe a été déterminante sur le plan des percées technologiques. De même, le XXe siècle a vu l’augmentation gigantesque de la productivité via la mécanisation, l’informatisation et la robotisation. Cela a permis l’accès à plus de ressources et de réduire le travail humain directement nécessaire à leur production.

L’auteur conclut ainsi que « l’ensemble du système technique, adossé, enchâssé dans un système social, moral et culturel » s’adaptant à lui, a pu répondre efficacement aux pénuries. Évidemment, cela s’est fait au prix d’une fuite en avant créant de nouvelles pénuries, pollutions et destructions sociales et environnementales.

Pourquoi les high tech n’y répondront pas cette fois

On pourrait logiquement penser que ce principe peut continuer: puisque l’on a toujours trouvé des solutions technologiques, pourquoi ne serait-ce pas le cas cette fois-ci ? L’auteur avoue qu’après tout, le prix du carburant n’augmente pas tant que cela par rapport aux salaires. De plus, des technologies apparemment prometteuses sont en développement: fusion nucléaire et surgénérateurs, voitures électriques, éoliennes, capture du CO2, recyclage des métaux à l’infini, économie circulaire, OGM… Malheureusement, lorsque l’on analyse les problèmes en détail et que l’on tient compte de certaines limites physiques et des aspects systémiques, cet optimisme ne tient plus.

Qualité et accessibilité des ressources : rendement énergétique et « peak everything »

Pour bien saisir le problème, il est important de comprendre la notion de rendement énergétique. Les énergies fossiles représentent actuellement 87% de l’énergie primaire consommée par l’humanité. À part l’aluminium et le fer dont les ressources sont virtuellement inépuisables, les métaux sont disponibles en quantités limitées et inégalement réparties. Théoriquement, on peut pousser l’exploitation à l’extrême et tenir longtemps en exploitant de nouvelles sources plus exotiques de métaux et d’énergie.

Pour les métaux, l’équation est simple: lorsque la concentration diminue, on n’a qu’à « creuser plus profond [et] extraire plus de minerai ». L’auteur rappelle alors que « cependant, il faudra dépenser plus d’énergie par tonne de métal produite… et c’est là que les ennuis commencent. » En effet, pour qu’une production d’énergie soit utile, il faut « extraire » plus d’énergie que ce que l’on doit « investir » pour l’extraction. Ainsi, le ROEI, le « retour sur investissement énergétique », varie fortement selon la source: on ne doit investir que l’équivalent de 1 baril de pétrole pour en extraire 40 des champs pétrolifères onshore d’Arabie Saoudite. Pour le pétrole offshore (plate-formes pétrolières), on ne récupère déjà plus que 10 à 15 barils par baril dépensé car l’extraction demande des moyens bien plus importants. Et dans le cas des sables goudronneux canadiens, ce rapport tombe à 3 ! Ainsi, il y a encore du pétrole, mais il faut dépenser de plus en plus d’énergie pour l’extraire. On distingue aisément l’impasse… L’auteur note d’ailleurs que le pic de production du pétrole « conventionnel », soit relativement facile à extraire, a été atteint dès 2006. Il ajoute que les pics du gaz et du charbon, aux ressources plus importantes, seront atteints dans les années 2020-2030.

L’aspect systémique commence à apparaître lorsque l’on se rend compte que ces investissements plus importants pour extraire des énergies fossiles moins accessibles se traduisent par un besoin accru en métaux pour la production, entre autres, des machines nécessaires. C’est d’ailleurs aussi le cas pour les énergies renouvelables avec par exemple les métaux rares des panneaux photovoltaïques ou les aimants permanents des éoliennes.

Ainsi, on a besoin en même temps de plus d’énergie pour extraire des métaux moins concentrés, et de plus de métaux pour extraire de l’énergie moins accessible. Le pic énergétique s’accompagnera donc, d’après l’analyse de l’auteur, d’un « pic de tout », d’un « peak everything ».

L’auteur précise ensuite que certaines pistes présentées comme des solutions n’en sont pas réellement, à l’image de l’extraction des métaux des astéroïdes, bien trop énergivore, ou encore de la fusion nucléaire ou des surgénérateurs. Il précise encore que « les milliers d’années d’énergie nucléaire ne tiennent pas la route », car les centrales devront être reconstruites tous les 40 à 50 ans sans que l’on puisse en recycler les matériaux irradiés. De plus, ces hautes technologies nécessitent leur cortège de métaux rares pour former les alliages résistant à la température, la pression, la corrosion ou l’irradiation. Comment faire sans eux ?

Finalement, des facteurs systémiques tels que les zones politiquement instables, les crises financières ou le manque de main-d’œuvre qualifiée ne feront qu’aggraver le problème d’accès aux ressources raréfiées.

Les limites de l’économie circulaire

En plus des pertes inévitables (entropiques), il existe des obstacles physiques et sociétaux au recyclage: certains matériaux (par exemple les polymères thermodurcissables) ne peuvent pas être refondus, certains sont souillés et inexploitables (emballages alimentaires ou médicaux).

L’auteur ajoute ensuite que la complexité de produits comme les téléphones portables empêche d’identifier et de récupérer efficacement les matières premières. Par exemple, le nickel, « plutôt bien recyclé » et « facile à identifier » en comparaison avec d’autres métaux, n’est recyclé qu’à 55% à cause de son usage en tant qu’additif et des autres pertes. En trois cycles, on perd donc 80% de la ressource.

De plus, pour ne parler que des métaux, certains sont utilisés de manière purement dispersive comme pigments, fertilisants, additifs dans les verres et plastiques, ou agents anti-odeurs dans des chaussettes. Selon l’auteur, l’augmentation du taux de recyclage nécessite donc de « revoir en profondeur la conception même des objets ».

La « croissance verte »

Philippe Bihoux poursuit l’analyse en ajoutant que les technologies « vertes » ne font souvent qu’accroître le problème, car elles sont basées sur des métaux rares, des produits complexes, et rendent le recyclage plus difficile. Par exemple dans l’automobile: pour alléger les voitures en conservant vitesse et résistance aux chocs, on utilise des alliages d’acier haute performance au vanadium, manganèse, niobium… ces métaux « ne sont plus récupérables en fin de vie » et, en plus, on ne peut pas atteindre le niveau de pureté désiré avec de l’acier recyclé. Un autre exemple parlant est l’ensemble des capteurs, moteurs et ordinateurs destinés à la régulation électronique des bâtiments dits « à basse consommation » ou des « smart grids » visant à gérer les sources d’énergie renouvelable intermittentes pour les conformer aux exigences de disponibilité actuelles. Ces installations représentent autant de produits complexes difficilement recyclables.

Effet parc et effet rebond

L’auteur évoque d’autre part un problème d’échelle, rendant une transition difficile: l’effet parc, qui désigne l’inertie de l’existant. Par exemple, dans le domaine du bâtiment, il faut plusieurs décennies pour mettre à niveau tous les bâtiments. Dans l’automobile, c’est 10 à 20 ans qu’il faut compter pour un renouvellement complet. Les centrales à charbon classiques construites récemment devront d’abord être amorties sur plusieurs décennies avant de pouvoir être modifiées, alors qu’il existe depuis des centrales supercritiques, beaucoup plus efficaces. Les porte-conteneurs ou pétroliers sont sujets au même phénomène.

L’effet parc s’applique malheureusement tout autant aux énergies renouvelables avec certains grands projets très médiatisés mais d’une échelle irréaliste, et ne suffisant pourtant pas à remplacer les énergies fossiles en maintenant la consommation actuelle : Desertec, Wind Water Sun, boudins « Pelamis »… L’auteur explique que tous représentent des défis industriels gigantesques nécessitant au minimum de démultiplier les capacités de production mondiales et donc de fabriquer les usines, les centrales logistiques, les réseaux de transport nécessaires… Sans compter que les technologies visées requièrent elles aussi leur part de terres rares, d’acier, et de matériaux synthétiques issus du pétrole, et que les installations devront toutes être remplacées après 30 ans. Tout ceci alors que chacun de ces projets ne représente que quelques pour-cent de la consommation électrique actuelle.

Ainsi, Philippe Bihouix affirme que les contraintes purement physiques mettront un coup d’arrêt à ces nouvelles technologies de production d’énergie renouvelable: impossible recyclage, matériaux indisponibles, consommation de surfaces, rendements trop faibles. Le développement des énergies renouvelables est souhaitable, mais l’échelle à laquelle on s’imagine pouvoir en profiter est utopique. L’engouement actuel pour les voitures électriques, par exemple, néglige le fait qu’il n’y a, selon les estimations, pas suffisamment de lithium ou de cobalt sur terre pour en fabriquer plusieurs centaines de millions. Le platine pose le même problème pour les piles à combustible des voitures à hydrogène.

À l’effet parc s’ajoute un autre aspect d’importance: l’effet rebond. Ce dernier traduit le fait que les économies de consommation ne sont pas totalement récupérées, car la chute du coût d’utilisation fait augmenter la demande. Par exemple, les moteurs étant devenus plus efficaces, on construit des voitures plus lourdes et on roule plus loin.

Les contraintes engendrées par l’innovation elle-même

Certaines innovations n’existent que pour répondre à des besoins que l’auteur juge absurdes, créés par l’industrie ou la publicité, qui ont besoin d’obsolescence physique ou culturelle pour suivre le rythme. L’auteur cite notamment les crèmes solaires rafraîchissantes, les puces RFID sur tous les produits pour payer sans passer à la caisse ou encore l’internet des objets (NOTE DU REDACTEUR: l’internet des objets ou IoT pour Internet of Things est en effet lié au développement actuel de la 5G).

Effet système et rendements décroissants

L’auteur précise que l’aspect mis en lumière plus haut au sujet du rendement énergétique est aussi valable dans l’autre sens. Les pénuries et contraintes écologiques provoquent ainsi des boucles de rétroaction négatives: une disponibilité réduite de métaux implique moins d’énergie extractible, et donc en retour moins d’accès aux métaux. Une surproduction agricole implique un épuisement des sols, donc des besoins plus importants en fertilisants et donc en énergie pour leur production.

Plus le système est complexe et en flux tendu, plus il est difficile à maintenir et sensible aux perturbations telles que le changement climatique, les catastrophes naturelles ou industrielles, ou les troubles géopolitiques. On entend souvent dire que les énergies renouvelables, moins centralisées, pourraient permettre de relocaliser la production énergétique et réduire de cette sensibilité. Selon l’auteur, c’est vrai pour les petites unités simples (solaire thermique domestique, petites éoliennes) mais pas pour les énormes éoliennes de 5 MW qui demandent une organisation mondiale de la chaîne de production avec des moyens industriels et logistiques considérables et hyperspécialisés, ainsi que des matériaux rares et un système complexe de régulation.

Considérations sur quelques « innovations high tech »

Philippe Bihouix analyse ensuite certaines innovations actuellement présentées comme des solutions aux problèmes environnementaux et de pénurie:

  • La bioéconomie, qui regroupe les techniques visant à remplacer des ressources fossiles par des matières premières renouvelables. Elle s’appuie notamment sur les OGM et les biomatériaux. Cependant, aucune de ces technologies n’offre selon l’auteur de solution réaliste. Les OGM, au-delà des considérations éthiques, ne pourront pas remplir leurs promesses (ce point est abordé plus bas). Dans le cas des biomatériaux, on envisage de fabriquer des produits chimiques et des matériaux à partir de ressources renouvelables grâce à des bactéries ou des enzymes génétiquement modifiées. Selon les promoteurs, on pourrait utiliser de la paille ou du bois. Bihouix relève pourtant deux problèmes majeurs. Premièrement, on ne maîtrise ces techniques que pour les monoprocédés et les intrants simples tels que sucre et amidon; on ne sait pas traiter les intrants plus complexes tels que la cellulose ou la lignine qui composent la structure des plantes, sans parler des mélanges. On commencera donc par utiliser des cultures OGM enrichies en amidon, au détriment de la production alimentaire. Deuxièmement, les ordres de grandeur en jeu ne permettent pas de l’envisager comme solution réaliste. L’auteur montre ainsi en quelques calculs très simples que la production agricole mondiale, même en supposant des rendements élevés et en récupérant tous les résidus agricoles du monde, ne suffirait même pas à couvrir les besoins actuels en carbone de la chimie. Y ajouter la lignine ne change pas la conclusion, et ceci ne tient pas compte de la production de biocarburants ou de lubrifiants ni de l’effet d’un tel prélèvement de nutriments sur la biosphère.
  • Les nanotechnologies, qui ont pour but d’économiser ou de remplacer des matières premières rares, notamment grâce aux nanomatériaux et à la nanoélectronique. Toutefois, les nanomatériaux ont principalement un usage dispersif sans aucun espoir de recyclage (par exemple dans les textiles, peintures, composites, produits cosmétiques ou même aliments). L’auteur nous alerte sur les quantités en jeu, qui ne sont pas anecdotiques, avec par exemple 500 tonnes de nano-argent en 2008 (3% de la production mondiale d’argent), perdus irrémédiablement. De son côté, la nanoélectronique réduit bien la quantité de matière utilisée, mais augmente le problème du recyclage.
  • L’économie dématérialisée, qui s’appuie sur l’idée d’obtenir une croissance économique sans augmentation, ou même avec une réduction du prélèvement des ressources. L’auteur constate pourtant que l’on sait aujourd’hui que l’informatique ne permet pas réellement d’économiser du papier ou de réduire les voyages professionnels. Le secteur est d’ailleurs loin d’être virtuel du fait des serveurs, antennes, terminaux ou encore câbles transocéaniques. On parle également beaucoup de l’économie de la fonctionnalité, qui, par la mise en location des objets plutôt que leur vente, permettrait d’éviter l’obsolescence en encourageant les entreprises à entretenir et faire durer le matériel. Mais un tel système est difficile à mettre en place, bien des domaines ne s’y prêtent pas, et le résultat serait seulement de revenir à des appareils durables.

L’auteur dénonce ensuite le mirage des imprimantes 3D, longtemps présentées comme l’outil qui mettrait fin aux usines et permettrait aux gens de se réapproprier la production. Selon lui il n’en est rien car, si des concepts comme les fablabs sont intéressants pour la mise en commun locale d’outils et de machines, les imprimantes 3D domestiques resteront anecdotiques car limitées aux petits objets en plastique. De plus, elles sont dépendantes de l’appareil industriel, non négligeable, qui produit la résine nécessaire.

Dans ce sens, l’auteur note que les imprimantes 3D ou les panneaux solaires en toiture ne font pas du consommateur un producteur. Il s’agit ici de rendre un service, et non pas de l’exploitation d’un savoir-faire mais bien d’un débouché tertiaire du vrai producteur: le fabricant bien ancré dans l’industrie secondaire classique.

Pour conclure cette première partie, l’auteur affirme donc que la croissance verte et les nouvelles technologies peuvent au mieux freiner l’effondrement, et au pire l’accélérer par effet systémique. Nous nous trouvons dans ce que l’auteur nomme une triple impasse, à savoir l’impasse sur les ressources non renouvelables ou surexploitées (énergie, métaux, sols agricoles), l’impasse sur les pollutions (gaz à effet de serre, plastiques, métaux lourds), impasse de la consommation d’espace (nouvelles zones construites, puis nouvelles routes qui déplacent les besoins, ce qui en retour déplace les zones de consommation et pousse à l’abandon des anciennes). À cette triple impasse s’ajoute l’impasse sociale avec le creusement des inégalités qui finira tôt ou tard par provoquer des soulèvements.

Principes des basses technologies

Résumons ce que Philippe Bihouix a démontré jusqu’ici: nous avons un problème majeur de disponibilité des ressources de tous types. La « recette actuelle » pour régler ce problème consiste en une « fuite en avant » à base d’innovations technologiques. Mais ces innovations sont au mieux de bonnes idées qu’on ne pourra pas mettre en œuvre assez rapidement et assez largement, ou au pire des idées néfastes qui ne feront qu’accélérer les difficultés. L’auteur relève encore que l’on « [appuie] à fond sur la pédale de l’accélérateur en espérant que l’on inventera des ailes avant d’atteindre le bord de la falaise ». Que faire alors ?

En réponse, l’auteur estime que la seule option rationnelle est de « réduire, au plus vite et drastiquement, la consommation de ressources par personne ». L’idée n’est pas de « retourner au Moyen-Âge » comme on l’entend souvent dans les discours des sceptiques, mais de retrouver une consommation raisonnable tout en conservant le plus possible du confort moderne. Il ne s’agit pas de choisir « entre croissance et décroissance, mais entre décroissance choisie ou décroissance subie ».

Ceci étant posé, Philippe Bihouix décrit tout d’abord les principes généraux visant à diminuer la consommation de ressources. Les moyens pour y arriver seront abordés plus tard.

Premier principe: remettre en cause les besoins

Le recyclage est important mais, comme on l’a vu, insuffisant. Il est nécessaire de retourner la question et de se demander non pas comment remplir un besoin, mais plutôt s’il est possible de s’en passer. Si cela n’est pas possible, alors il faut chercher la manière la plus économe de répondre à ce besoin. Par exemple, débrancher les panneaux lumineux publicitaires plutôt qu’installer des hectares de panneaux solaires pour les alimenter. L’auteur note que le gaspillage actuel est tel que l’on peut déjà économiser beaucoup sans réellement entamer notre confort.
L’avantage de ce principe est qu’il est très simple à mettre en œuvre. Certaines mesures sont ainsi très faciles tout en ayant un impact important. L’auteur propose par exemple:

  • De supprimer totalement les prospectus publicitaires et les sacs en plastique.
  • De n’utiliser que du verre blanc pour tous les usages afin d’éviter les additifs métalliques du verre coloré, ce qui est plus simple que de trier le verre en aval au moyen de systèmes mécatroniques ultraperfectionnés.
  • D’interdire les piles jetables ainsi que la production de certains produits polluants.
  • De rechaper plutôt que de remplacer les pneus de voiture, ce qui est déjà courant pour les pneus de camion.
  • Pour le carbone, de taxer en amont lors de l’extraction ou de l’importation plutôt que d’établir un système compliqué de quotas, de compensations et d’incitatifs.

Il poursuit ensuite avec des mesures tout aussi simples mais plus polémiques:

  • Arrêter l’eau en bouteille.
  • Stopper les dépenses publicitaires dans leur ensemble, en visant premièrement les écrans, le papier et les gadgets publicitaires.
  • Limiter les journaux, vêtements, jouets… à des couleurs naturelles et réserver les colorants synthétiques pour des produits durables et d’usage particulier.
  • Mutualiser les machines diverses.
  • Favoriser l’utilisation de main-d’œuvre ou d’animaux, par exemple des lapins ou moutons pour la tonte des pelouses.

D’autres mesures possibles sont beaucoup plus polémiques dans notre société actuelle, mais seraient selon l’auteur très rapides et extrêmement efficaces:

  • Brider les voitures à 120, voire 80 km/h. On obtiendrait rapidement une réduction de la consommation, mais aussi du poids des véhicules car l’énergie à encaisser en cas de choc serait plus faible et l’on pourrait donc diminuer la quantité de métal et d’énergie consommée. On ne perdrait pas forcément en sensation de vitesse, car les voitures seraient plus petites et légères.
  • Baisser la température des bâtiments à 16 ou 18 degrés selon les lieux ou horaires, et arrêter toute climatisation. Ceci est très simple à mettre en place par des tarifs fortement progressifs de l’énergie ou par voie réglementaire. Et c’est bien plus simple et rapide que d’isoler tout le parc existant.
  • Réfléchir aux multi-usages possibles avec l’existant, par exemple en imprimant les journaux sur du papier pouvant servir de papier toilette ensuite.

Second principe: concevoir et produire réellement durable

Les ressources étant trop limitées et la pollution trop importante, il faut augmenter drastiquement la durée de vie des produits. Ceux-ci doivent être pensés dès leur conception pour être « économes […], non polluants, durables, robustes, et facilement réparables », et recyclables. Pour ce faire, il faut agir sur les matériaux, la conception et la modularité. Certains objets comme les vélos ne peuvent pas être produits localement, mais sont facilement réparables à long terme sans être expert. Certains produits peuvent également être simplifiés spécifiquement dans ce but.

Une piste d’amélioration est également la standardisation. Certaines standardisations apportent un vrai plus en termes d’impact. Philippe Bihouix suggère notamment de se limiter à quelques formats uniques pour les bouteilles, afin de pouvoir les consigner et mettre en place un système de nettoyage et d’embouteillage local très écologique (au contraire d’un système de consigne à l’échelle du pays qui demande le transport de bouteilles vides sur des centaines de kilomètres). L’auteur remarque qu’il faut toutefois se méfier des standardisations complexes et longues à instaurer et sans impact important (par exemple les chargeurs des téléphones portables).

L’auteur note que certains produits sont jetables par nature (détergents, cosmétiques, emballages alimentaires et médicaux…). Il faut donc réduire les besoins, puis fabriquer le reste à base de ressources entièrement renouvelables. Ici, on pourrait accepter une petite quantité de bioplastiques facilement biodégradables. Les produits consommables tels que le dentifrice devraient de plus être fabriqués par des artisans locaux à base de recettes simples et sans composés chimiques, stabilisants ou conservateurs. La plupart des produits cosmétiques sont facilement substituables par des alternatives naturelles et artisanales, et ce déjà à l’heure actuelle.

Troisième principe: orienter le savoir vers l’économie de ressources

« Basses technologies » ne veut pas dire absence de recherche ou de connaissances, ni que l’on s’oppose au progrès. Dans la société proposée par l’auteur, des connaissances très spécialisées seront indispensables. Par exemple dans l’agriculture, on aura besoin d’une maîtrise profonde des cycles écologiques, de la microbiologie, de la chimie des sols… Il faudra également fabriquer des matières premières à partir de déchets d’agriculture, en revenant aux anciennes pratiques dont on améliorera les rendements grâce à la science. Il faudra ainsi « réorienter la connaissance ». L’auteur précise encore que le financement de la recherche devra probablement se faire « sur des fonds publics », car il sera peu souhaitable de déposer des brevets. L’éducation aura ainsi son rôle à jouer, car chaque consommateur devra comprendre l’impact de ses choix.

Quatrième principe: rechercher l’équilibre entre performance et convivialité

L’auteur rappelle qu’une efficacité accrue s’accompagne souvent d’une plus grande sensibilité aux perturbations et d’un plus grand besoin de maintenance et de ressources rares, avec un système en conséquence moins résilient.
Il est donc préférable de viser la robustesse, quitte à perdre un peu en efficacité, pour « augmenter les capacités locales à réparer, à faire durer, à maîtriser les objets, les outils ou les systèmes techniques ». Par exemple, l’auteur propose d’installer des petites éoliennes moins puissantes mais robustes et simples plutôt que des « monstres de 5 MW bourrés de technologies de pointe ». Par unité d’énergie produite, on augmente le besoin local en béton et en acier, mais il affirme qu’en réalité l’analyse est probablement très différente si l’on compte toute l’industrie et l’infrastructure nécessaire aux grandes éoliennes (smart grids, bases logistiques, bateaux, routes d’accès, extraction des terres rares…). Un autre exemple serait de construire des bâtiments moins hauts et donc moins efficaces en termes d’utilisation de l’espace, mais moins gourmands en métaux high tech et en énergie.
Philippe Bihouix appelle donc à appliquer le « principe d’acceptation de la moindre performance, du vieillissement et de la perte de rendement contre le remplacement à tout prix par un nouveau modèle ».

Cinquième principe: relocaliser sans perdre les bons effets d’échelle

Les considérations exposées ci-dessus indiquent qu’il est nécessaire, pour des questions énergétiques, de consommation de ressources mais également sociales, de relocaliser certaines industries. La question est de savoir à quelle échelle relocaliser quelle industrie. L’auteur entend ici par « relocalisation » le remplacement des grandes productions centralisées par des productions au niveau du village ou de la région.

Concernant les industries de procédés, il n’y a que peu à gagner. Certaines industries sont déjà locales car le coût du transport est trop élevé par rapport au prix de la marchandise (par exemple les cimenteries). Pour les autres, il n’est pas forcément souhaitable de relocaliser car cela impliquerait des pertes sur la consommation énergétique et de nouveaux dégâts environnementaux. Il est donc préférable de miser sur la réduction des besoins et de « faire avec l’existant ». Certaines petites industries telles que des brasseries ou des savonneries peuvent toutefois être relocalisées facilement.
Dans le cadre des manufactures, par contre, le potentiel de relocalisation est fort. Actuellement le secteur est extrêmement concentré et mondialisé à cause des coûts de transport très faibles. L’auteur mentionne par exemple la production de fermetures éclair (80% de la production mondiale à Qiaotou) ou de brosses à dents (3 milliards par an dans plusieurs usines à Hangji, la plus grande en produisant 1 milliard). Même si la production à grande échelle permet des gains de productivité, il n’est pas nécessaire d’obtenir une telle concentration qui n’est de toute façon « possible qu’avec de nombreuses lignes de production parallèles ». Il est donc « logique, souhaitable » de relocaliser certaines manufactures de produits du quotidien tels que vêtements, chaussures ou quincaillerie. Certains produits tels que l’électronique sont toutefois plus difficiles à relocaliser.

Le fait de relocaliser les manufactures en de plus petites unités ferait perdre un peu de productivité. Cependant, l’auteur note que l’essentiel du gain de productivité dans ce domaine est venu de la mécanisation avec par exemple la machine à vapeur. Les rendements des innovations suivantes sont décroissants. Il serait donc pertinent de garder « de petits ateliers équipés de quelques machines simples et robustes, mais gardant un certain nombre d’acquis » tels que la commande numérique. Ceci permettrait de conserver un bon niveau de productivité tout en diminuant la voracité énergétique des processus.

Philippe Bihouix s’intéresse ensuite aux industries de réseau, qui regroupent la distribution de l’eau, de l’électricité et du gaz, les transports, les services tels que les hôpitaux ou encore les télécommunications. Il s’agit d’un élément essentiel du confort moderne et il n’est pas envisageable de les supprimer: la densité de population est aujourd’hui telle que nous devons nous appuyer sur ces industries, ne serait-ce que pour des questions sanitaires ou de gestion de l’eau. A ce sujet, l’auteur appelle par contre à « remettre en cause le dogme d’une concurrence forcément bénéfique ». En effet, la concurrence dans le domaine des réseaux conduit selon lui à multiplier les équipements et la publicité, sans effet au bout de la chaîne pour le client final mais avec un impact environnemental important. L’auteur remet également en question le supposé gain d’innovation apporté, et parle ici d’une confusion entre la « saine concurrence entre les trois boulangers du quartier et cette concurrence contre-productive des métiers de réseau ».

D’autre part, les industries de réseau sont aujourd’hui d’une grande complexité technique et il n’est pas facile d’y intégrer une approche low tech, d’autant que les réseaux sont fortement interconnectés et que « la dépendance technologique continue à progresser régulièrement », par augmentation de nos exigences ou par machinisation sous la pression des coûts. L’auteur évoque donc la réduction des besoins comme une partie de la solution mais avoue que les angles d’attaque sont étroits. Il note cependant que ces industries sont globalement moins consommatrices que la construction, l’automobile ou les produits grand public et suggère donc d’éviter de machiniser encore ce secteur. Finalement, il prédit que le maintien de ces industries, à cause de leur importance fondamentale pour la société, sera de toute manière priorisé lors des pénuries à venir.

Sixième principe: « démachiniser » les services

Philippe Bihouix note que, si la machinisation de certains services est « désormais nécessaire » (bureaux d’études, agences de voyage, billets de train…), elle est néfaste lorsque l’on remplace les humains par des machines là où ce n’est pas indispensable (distributeurs, caisses et bornes automatiques). Certains métiers remplacés sont certes peu valorisants, mais d’autres remplissent un « véritable rôle social ». D’autre part, en réalité « on remplace ces anciens métiers peu qualifiés par d’autres » tels que l’employé au salaire de misère et sous pression constante qui réapprovisionne les distributeurs. On ne se passe donc pas réellement de travail humain. De plus, les écrans, métaux et autres composants électroniques provoquent une consommation d’énergie et de ressources conséquente. Finalement, l’auteur nous rend attentifs au fait que même si le but est de servir mieux pour moins cher, « on détruit de l’emploi local et on aggrave le déficit commercial » puisque les composants des machines viennent pour l’essentiel de l’étranger. Il appelle donc à réhumaniser les services en ne gardant que les machines réellement utiles.

Septième principe: savoir rester modeste

La science moderne promet beaucoup de développements fantastiques, du transhumanisme à la réparation du climat en passant par la vie synthétique créée en laboratoire. Mais selon l’auteur, notre monde est bien trop complexe pour tout comprendre et tout maîtriser: on constate via des corrélations statistiques, mais on ne démontre pas. Philippe Bihouix plaide donc pour que l’on accepte « que l’on n’a pas réponse à tout », pour que l’on « réapprenne à la science l’humilité » et que l’on « se réapproprie la dimension poétique et philosophique du monde ».

Application concrète des basses technologies

Après avoir détaillé les objectifs globaux de la transition et quelques pistes, Philippe Bihouix s’attelle dans ce chapitre à décrire leur application, sans préjuger de leur faisabilité politique, sociale ou culturelle qui sera étudiée au chapitre suivant.

Agriculture et agroalimentaire

L’agriculture est un point central. L’enjeu est de nourrir l’humanité durablement sans réduire la capacité des générations futures à se sustenter. Selon l’auteur, il faut donc, en amont, « maintenir ou améliorer les rendements surfaciques tout en diminuant les besoins en intrants » (engrais et pesticides) et, en aval, réduire transports, déchets et emballages. Cela va à l’encontre des tendances actuelles. D’une part, on a développé d’immenses monocultures, adaptées à une mécanisation de plus en plus importante, mais sensibles aux attaques de maladies et ravageurs. On doit donc multiplier les traitements pesticides, et l’on épuise biologiquement les sols tout en augmentant l’érosion. D’autre part, les élevages industriels de grande ampleur produisent des rejets que l’on ne peut pas gérer localement par manque de surfaces d’épandage, et doivent être traités aux antibiotiques car leur taille les rend sensibles aux maladies. La fragilité génétique « par appauvrissement dû à la sélection à outrance » ne fait qu’ajouter au problème.

Philippe Bihouix note qu’il faut bien distinguer le rendement (production par hectare) de la productivité (production par travailleur). Même si la productivité augmente encore grâce à la mécanisation et l’augmentation de la taille des parcelles, le rendement désormais stagne désormais. On produit donc « à peu près la même quantité avec moins de personnel, c’est tout ». Ce qui se fait au détriment de l’environnement (pollution, épuisement des sols) et de la société (chômage, suicide de paysans).

Les OGM sont présentés par leurs promoteurs comme la solution face au défi de produire suffisamment tout en épargnant l’environnement. Cependant, l’auteur montre qu’il s’agit ici encore de fausses promesses:

  • Les variétés produisant leur propre insecticide telles que le coton Bt permettent de réduire les traitements de 20 à 30%, mais pas de s’en passer.
  • Les variétés résistantes aux herbicides sont « par définition faites pour utiliser les herbicides systémiques à grande échelle et on constate […] une augmentation de [leur] utilisation, qui pourrait s’aggraver encore avec l’apparition de mauvaises herbes résistantes au Roundup ».
  • « Les OGM n’augmentent pas les rendements à l’hectare » mais « réduisent le nombre de passages pour traiter » les cultures. On obtient donc éventuellement un rendement meilleur, mais cela est dû à la réduction des pertes de récolte et non à une meilleure pousse.
  • Les caractéristiques promises telles que la résistance à la sécheresse ou aux ravageurs existent déjà dans les variétés traditionnelles.

On constate donc avec Philippe Bihouix que les OGM ne représentent pas une opportunité, mais plutôt « une technique hasardeuse […] pour produire la même quantité, mais avec moins de monde, en remplaçant du travail humain par des machines et des produits chimiques difficilement biodégradables ».

Philippe Bihouix propose alors de reconsidérer l’approche actuelle de l’agriculture. La solution est finalement très simple: réduire la taille des cultures et des élevages, et mieux les mélanger sur les territoires, « comme cela a été le cas depuis toujours à l’exception des quelques dernières décennies ». Des petites exploitations permettraient d’utiliser localement les rejets comme engrais et de redévelopper les haies et bocages abritant des petits prédateurs qui, avec la polyculture, permettraient de « réduire les risques de maladies, d’attaques de ravageurs […] et donc les traitements pesticides à rendement égal ». Cela permettrait également de maintenir une certaine diversité génétique.

Pour Philippe Bihouix, il est évident qu’il faut maintenir « un certain niveau de mécanisation » pour éviter une trop grande pénibilité du travail. Ceci est tout à fait compatible avec des petites parcelles, en formant par exemple des champs tout en longueur pour limiter les virages. D’autre part, l’auteur fait remarquer que réduire la mécanisation pourrait même augmenter le rendement à l’hectare, car une récolte manuelle permet de planter plus serré et d’utiliser la même surface pour plusieurs productions à la fois (par exemple en élevant des poules sous les arbres fruitiers, ou en plantant plusieurs espèces symbiotiques).

Regrouper agriculture et élevage sur de petites parcelles permet ainsi de réutiliser les rejets comme engrais organiques. Mais l’auteur mentionne qu’il faut aussi retourner les nutriments de nos aliments à la terre, et donc récupérer « azote, phosphore et potassium dans l’urine et les matières fécales ». Actuellement, on traite ces rejets dans des stations d’épuration mais les boues « sont fortement polluées par les produits chimiques […] et les polluants léchés sur les sols par les eaux de pluie » (principalement pots d’échappement et pneus), ce qui ne permet pas de les épandre sur les champs. Il est donc capital de « réduire la pollution à la source » (produits bio, moins de véhicules), mais il sera difficile de la supprimer à cause de celle déjà présente sur les sols artificialisés. Pour Philippe Bihouix, la solution concernant les nutriments passe donc par la récupération à la source des urines et excréments, par exemple au moyen de toilettes sèches.

Du côté des ressources halieutiques, l’auteur estime que la seule solution pour combattre la surpêche est de manger moins de poisson. En effet, l’aquaculture n’est pas une solution puisque nous mangeons principalement des poissons carnivores, dont l’élevage nécessite 3 à 4 kilos de poissons sauvages par kilo de nourriture produite.
Finalement, l’auteur préconise les changements suivants concernant la distribution et la consommation:

  • Revenir à des circuits courts, ce qui est d’ailleurs adapté à un système basé sur des petites parcelles.
  • Modérer la consommation de produits hors saison.
  • Accepter de payer un peu plus cher les producteurs et répartir plus équitablement les marges entre les producteurs et les distributeurs.
  • Payer plus cher pour une viande de qualité, mais en manger moins souvent.
  • Réduire nos exigences de diversité dans les restaurants et cantines pour permettre la préparation sur place à partir de produits bruts.

Philippe Bihouix affirme ainsi que l’agriculture est bien un « domaine où nous aurions les moyens de changer », simplement en réorientant les aides agricoles. L’effet de cette transition conduirait à une agriculture plus intensive en main-d’œuvre mais au rendement similaire. On réduirait les importations et les exportations (moins d’OGM pour nourrir le bétail, plus d’autoconsommation). Et même si les rendements diminuaient, la marge de manœuvre est importante au regard des 25% de la production qui sont directement jetés à la poubelle ou de la consommation encore trop importante de nourriture carnée.

Transports et automobile

Les enjeux sont importants également dans le domaine des transports. Philippe Bihouix relève le paradoxe que la liberté offerte par la voiture individuelle provoque la disparition des espaces naturels que l’on voulait justement visiter grâce à elle. Le coût de la mobilité individuelle est exorbitant sur les plans environnemental (gaz à effet de serre, pollution, terres artificialisées…) et sociétal (bruit, santé, fragmentation des lieux de vie). Selon l’auteur, « il n’existe et n’existera aucune source d’énergie ou de vecteur énergétique permettant d’offrir à l’ensemble de l’humanité la mobilité moyenne d’un Américain, ou même d’un Européen (et sûrement pas la voiture électrique) ». Vu la consommation énergétique et métallique pour déplacer « un objet de l’ordre d’une tonne transportant 80 kg de charge utile dans la plupart des cas », la seule solution est de « sortir de la civilisation de la voiture ». Pour ce faire, il y a plusieurs voies possibles. La première est de « renoncer au superflu » en partant moins loin en vacances ou en sélectionnant les sorties. Mais Philippe Bihouix juge cette solution très frustrante, et note que seuls « 15% des déplacements sont générés par les loisirs ». Il vaut donc mieux s’attaquer aux déplacements dus à des raisons économiques (« trajets domicile-travail, déplacements professionnels, courses, consultations chez le médecin… »). Le covoiturage est une solution intéressante mais dont les effets ne dépasseraient pas 20 ou 30% d’économies. La solution la plus efficace consiste plutôt à choisir le vélo, au moins pour les déplacements courts ou en complément des transports en commun. Comme l’auteur, on rappellera à ce stade la notion de vitesse généralisée d’Ivan Illich, détaillée dans un précédent article (LIEN), qui vise à prendre en compte dans la vitesse de déplacement le temps de travail nécessaire pour payer le moyen de transport utilisé: le vélo est dans cette optique clairement le plus rapide.

L’auteur admet cependant qu’il est difficile d’imaginer demander à « quelqu’un qui passe une heure par jour dans sa voiture et neuf heures au travail [de] transformer sa journée en quatre heures de vélo et six heures au travail ». Mais cela serait peut-être possible en réduisant la durée du travail par personne et en s’organisant différemment. Pour illustrer ses propos, Bihouix réalise un rapide calcul approximatif de la proportion du PIB « consacrée entièrement ou partiellement à la voiture et à son système technique associé ». Il liste alors les domaines et activités suivantes:

  • les constructeurs automobiles et équipementiers, producteurs de matières premières diverses ;
  • les réseaux techniques et commerciaux tels que garages, casses, stations-services ;
  • l’ensemble du système pétrolier, des plateformes aux pompes en passant par les raffineries et les infrastructures portuaires ;
  • les travaux publics et machines associés, les parkings, les routes ;
  • les dépenses publicitaires ;
  • les activités induites telles qu’hospitalières, d’assurance, de nettoyage, de sécurisation des approvisionnements, et tous les bâtiments associés.

Globalement, Philippe Bihouix estime ainsi que 30 à 40% de l’ensemble du système économique est lié de près ou de loin à la voiture. En conséquence, il affirme « [qu’]en économisant le travail généré par notre actuelle liberté motorisée », nous pourrions nous limiter à « deux à trois jours de travail par semaine ». Même si le calcul est volontairement simpliste et qu’en réalité, « une partie du système routier serait encore nécessaire pour d’autres besoins que la voiture [individuelle] », le besoin en infrastructures serait fortement réduit par la réduction du nombre d’usagers.

Selon l’auteur, si l’on veut garder des voitures, il faudra alors suivre les recommandations énoncées plus haut et réduire radicalement leur poids et leur puissance, et supprimer les accessoires de confort. L’auteur note que l’on aurait « une mobilité moins grande qu’aujourd’hui, mais quand même intéressante […] et restant formidablement supérieure à tout ce qu’a connu l’humanité à part les deux ou trois dernières générations ».

Sur le plan des transports collectifs, Philippe Bihouix juge que le moyen le plus écologique est probablement le bus. En effet, il ne demande qu’une faible infrastructure, est robuste et versatile. Idem pour les trams urbains. Les métros et trains régionaux représentent une consommation énergétique beaucoup plus importante, ainsi qu’une complexité bien plus élevée et des besoins proportionnels en infrastructures et en maintenance. Finalement, « ces caractéristiques atteignent leur paroxysme dans le cas des trains longue distance, à grande vitesse car les contraintes […] augmentent de manière exponentielle ». Ainsi, les transports en commun ne représentent selon lui qu’une « réponse partielle » aux problèmes de ressources. Les lignes de train sont très vite saturées. Tôt ou tard, il faudra baisser la vitesse commerciale des trains à grande vitesse à cause du vieillissement irrattrapable d’un « système ferroviaire surendetté ». Selon l’auteur, cette vitesse est d’ailleurs « positionnée pour concurrencer l’aérien, amené de toute manière à disparaître, au moins sur des distances inférieures à 1000 km ».

Bâtiment et urbanisme

Le secteur du bâtiment est extrêmement consommateur. De plus, malgré sa relative inertie, il subit également la tendance à « l’accélération généralisée de la société » via les renouvellements des boutiques ou des logos et les rénovations. Selon Philippe Bihouix, les enjeux principaux du secteur sont donc les suivants:

  • Réduire la consommation énergétique du parc existant.
  • Stopper l’artificialisation des territoires, cela étant une « urgence absolue ».
  • « Inverser la tendance […] à l’urbanisation », redynamiser les bourgs et villages sans étaler, car « les grands centres urbains sont trop consommateurs de ressources ».
  • Réduire fortement les nouvelles constructions en se concentrant sur les réutilisations de sites existants.

Dans ce secteur également, l’auteur voit dans la réduction des besoins un outil puissant. Il recommande donc d’utiliser les infrastructures existantes en arrêtant « l’ensemble des (grands) travaux d’infrastructures » tels que tunnels, lignes à grande vitesse, aéroports… Ensuite, il plaide pour des standards plus bas en termes d’esthétique pour les locaux utilitaires afin de diminuer les rénovations. De même, il faut mieux utiliser les bâtiments en les rendant multifonctionnels.

Du point de vue résidentiel, Philippe Bihouix, tout en admettant que la vie en colocation n’est pas pour tout le monde, estime qu’il serait peut-être plus supportable de se « serrer un peu » si l’environnement extérieur était plus agréable… par exemple en se débarrassant des voitures. La contrainte sur logements ne devant pas précariser ceux qui ne sont pas propriétaires, des outils fiscaux et économiques devront être définis. D’autre part, il y a une réflexion à mener sur l’utilisation des nombreuses résidences secondaires et autres logements vides.

Produits de consommation, sports et loisirs, tourisme

Certains produits du quotidien sont théoriquement inusables, mais on continue à en produire, entre autres pour satisfaire « notre propension à l’accumulation ». Des produits autrefois durables sont devenus jetables, tels que les montres, stylos ou gobelets. Selon le second principe présenté plus haut, on doit donc viser des produits durables et économes en repensant leur conception ou la manière de gérer leur usure, par exemple en remplaçant uniquement la partie usée comme cela se faisait autrefois pour les chaussures ou les cols de chemise.
Dans le domaine des produits cosmétiques et d’hygiène, une production locale et une réduction de l’usage permettraient selon Bihouix des économies non négligeables.

Concernant les loisirs, l’auteur appelle à remettre en question les sports polluants et très consommateurs d’espace et de ressources tels que le golf ou les piscines chauffées. Les sports professionnels, de leur côté, servent selon lui principalement des fonctions « de support publicitaire, de divertissement […], d’exemplarité et d’émulation ». Si la fonction publicitaire est « naturellement à proscrire », les autres fonctions sont « acceptables à condition d’en revoir l’échelle ». La débauche énergétique et de consommation représentée par les immenses stades (parfois même climatisés !), les déplacements en avion des joueurs et des spectateurs… n’est absolument pas compatible avec un monde plus sobre. Selon Philippe Bihouix, il est nécessaire de limiter les compétitions aux rencontres locales ou régionales, avec un spectacle perdant en qualité mais gagnant en termes de « dimension de l’émulation, du plaisir participatif, avec des supporters et des joueurs qui se connaissent ».

Le tourisme est évidemment un thème important. L’auteur fustige ainsi le tourisme de masse, low cost, par avion ou bateau de croisière, qui implique un impact énorme sur l’environnement. Il plaide ainsi pour un retour au tourisme « qui se mérite », en adoptant les « conditions de vie et la nourriture locales, le logement chez l’habitant ou en camping sommaire ». Quitte à accepter que la perte de confort limite les voyages à la jeunesse.

Finalement, Philippe Bihouix critique la consommation ostentatoire des riches, inacceptable et indéfendable « dans une optique d’économie drastique de ressources ». D’une part, elle n’est pas forcément si négligeable si l’on tient compte des yachts, hélicoptères ou matériaux de luxe et de leurs chaînes de production respectives. D’autre part, l’exemple donné implique « par imitation des différentes couches sociales, des envies à tous les niveaux ». Les produits luxueux par leur qualité n’ont selon l’auteur rien d’incompatible avec la société low tech. Cependant, les produits inabordables et totalement inutiles à la société, tels que limousines, yachts ou avions privés, doivent disparaître. L’auteur reviendra plus bas sur la question des emplois touchés.

Nouvelles technologies, informatique et communication

Selon l’auteur, il est « difficile de remettre totalement en question le développement de l’électronique, des outils de communication, de l’informatique, ou d’Internet », qui ont « permis l’accès à une incroyable augmentation de la puissance de calcul dont les applications sont quotidiennes » ainsi que l’accès immensément simplifié à la connaissance. Cependant, des mauvais côtés sont présents ici aussi : en plus de la consommation d’énergie et de ressources rares et de l’impossible recyclage cités plus haut, l’auteur pointe l’info en temps réel sans analyse, l’hyperconnectivité, la publicité ou encore la surveillance généralisée. Les évolutions à venir ne sont de plus pas encourageantes et la fuite en avant est dans ce domaine particulièrement flagrante.

Il est difficile d’imaginer avoir un jour des ordinateurs personnels low tech. Mais l’auteur estime que « la gabegie est tellement incroyable que nous avons déjà des possibilités d’économies drastiques, et de plusieurs ordres de grandeur ». On peut ainsi diminuer les redondances et privilégier les réseaux filaires au sans fil trop énergivore. La chaleur rejetée peut être réutilisée pour chauffer des serres ou des bureaux et l’architecture des serveurs peut être repensée en amont pour économiser de l’énergie et des infrastructures. De même, le nombre d’équipements personnels peut être limité et le volume de données échangées également. Notre besoin d’hyperconnectivité peut lui aussi être remis en question.

Banques et finance

Le système économique actuel étant basé sur le prêt avec intérêt, cela « implique mécaniquement le développement infini de la masse monétaire »: les Etats, ménages et entreprises doivent accéder, tous en même temps, à plus d’argent pour rembourser les prêts. Ce qui implique que le volume des biens et services à produire doit augmenter aussi. On ne peut donc pas s’affranchir de la croissance dans une société qui prête avec intérêt, à moins de « développer à l’infini des services sans consommation matérielle » – ce qui a, selon l’auteur, déjà commencé avec la tarification d’activité autrefois gratuites telles que l’accompagnement aux personnes âgées.

Comme Philippe Bihouix l’expose, l’argent sous forme de crédit à la consommation peut être considéré comme « un droit de tirage sur le travail futur du débiteur », et il n’a donc de valeur « que si on lui fait confiance, mais aussi à condition qu’il y ait des biens et services, et en particulier du travail, à échanger contre cet argent à tout moment ». L’auteur fait ainsi un aparté au sujet du démantèlement des centrales nucléaires dont il prédit qu’il n’aura jamais lieu. En effet les montants provisionnés pour le démantèlement restent virtuels jusqu’à leur utilisation, moment auquel il faudra que l’ensemble du système ait les moyens de fournir les services nécessaires. Ce qui ne sera pas le cas d’après les conclusions des chapitres précédents.

Le bannissement du prêt à intérêt est selon Philippe Bihouix un grand tabou même au sein des mouvements pour la décroissance. Comment assurer le fonctionnement du système, même low tech, sans prêt ? L’auteur apporte une réponse nuancée en distinguant les prêts: alors que le crédit à la consommation et le crédit immobilier peuvent disparaître car ils ne sont qu’une question de répartition des richesses, le crédit d’investissement est nécessaire pour les activités économiques. L’auteur suggère alors une « complémentarité entre des financements locaux faisant appel à l’épargne collective […], et des financements publics pour les investissements de plus grande échelle ».

Codes de la séduction et démographie

Abordant des considérations moins techniques mais non moins importantes, Philippe Bihouix mentionne tout d’abord que les « codes et valeurs de la séduction » devront évoluer pour moins s’appuyer sur la consommation ostentatoire, due « pour bonne part » à ces derniers.

D’autre part, la « délicate question démographique » ne doit pas être éludée. La population devra forcément tôt ou tard être stabilisée et les décès compenser les naissances. L’auteur pose donc la question s’il vaut mieux « une société où l’on vit très vieux et qui fait très peu d’enfants, ou une société où l’on meurt en moyenne plus jeune mais avec un peu plus d’enfants ». Il évoque finalement la perte de respect pour les anciens, vus comme « des boulets dont il faut s’occuper », et questionne la pertinence de l’hypermédicalisation de la fin de vie.

Gestion des déchets ménagers

Paradoxalement, le tout-à-l’égout et la poubelle, apparue à Paris dans les années 1880, ont interrompu le retour à la terre efficace des « nutriments contenus dans les excréments et les déchets ménagers ». Aujourd’hui, la plupart des déchets, souvent polluants, n’est pas recyclée alors qu’ils devraient l’être et sont mis en décharge, incinérés ou réutilisés dans la construction avec leur lot de pollutions induites (ainsi les mâchefers d’incinération « valorisés » en sous-couche routière alors qu’ils sont extrêmement pollués).

Pourtant, l’auteur affirme qu’il serait possible de se passer de poubelles en réduisant le volume de déchets et en appliquant les principes détaillés plus haut:

  • Compostage généralisé des déchets putrescibles qui représentent 1/3 du contenu, et revente locale comme engrais.
  • Meilleur respect des filières actuelles de recyclage des papiers, cartons, verres, métaux et textiles.
  • Réduction des besoins en plastiques et adaptation de la conception des produits. Collecte et tri des plastiques restants.
  • Abandon de certains textiles sanitaires (lingettes nettoyantes par exemple), remplacement d’autres par des versions lavables, en fabriquant le reste des produits jetables avec des matériaux entièrement biodégradables.
  • Tri des produits valorisables (caoutchouc, cuir, terre cuite).

Les déchets spéciaux ou dangereux, tels que les déchets hospitaliers, devraient selon Philippe Bihouix toujours être détruits, mais en quantités très faibles.

Production d’énergie

Pour les raisons expliquées plus haut, l’auteur affirme que l’on ne peut pas imaginer un monde stable basé sur une distribution type « smart grid » demandant une forte automatisation et des milliers de compteurs « intelligents », et on ne peut pas compter sur des centrales nucléaires « au niveau technologique ingérable » et aux risques mal maîtrisés. Le bilan n’est pas plus rose avec un « macro-système de milliers d’éoliennes » immenses ou de centrales solaires, qui ne sont en réalité pas beaucoup moins complexes. Il faudra les remplacer, sans pouvoir recycler « correctement » tous les matériaux, avec le manque de ressources à venir. L’auteur estime que l’on pense « s’acheter du temps » pour « organiser la transition », mais qu’il vaudrait mieux éviter de « gaspiller des ressources précieuses » et plutôt organiser la transition immédiatement.

Selon Philippe Bihouix, les seules « formes d’énergies vraiment durables sont sans doute celles basées sur des systèmes […] locaux et adaptés à leur environnement ». Il convient donc de miser sur de la basse technologie, réparable et remplaçable localement. Cela implique de récupérer moins d’énergie et donc renoncer aux escalators ou aux trains à grande vitesse, mais permet tout de même de vivre décemment. L’auteur note qu’il sera en conséquence nécessaire de procéder à un « ralentissement sociétal, culturel » nécessaire à « partager les équipements collectifs ».

D’après lui, on peut espérer maintenir 20 à 25% de la consommation actuelle, « essentiellement sous forme hydroélectrique […] avec en complément le bois de chauffe, un développement fort du solaire thermique individuel et des éoliennes de petite et moyenne puissance, et ponctuellement des installations exploitant le biogaz ».

Pour rappel, on a montré plus haut que certaines pistes sont très prometteuses pour la réduction de la consommation en jouant sur le chauffage des bâtiments, sur les modes de transport, sur la réduction des besoins en biens de consommation et sur l’augmentation de la durée de vie des objets.

Faisabilité de la transition

Beaucoup de suggestions, parfois très larges, ont été données par l’auteur. Il admet d’ailleurs que les évolutions nécessaires sont violentes et « en contre-pied systématique par rapport aux tendances de fond en place depuis des décennies, voire des siècles ». Les aspects moraux et culturels doivent donc également être abordés. En effet, un tel projet doit selon lui « susciter l’enthousiasme » pour être réalisable.

Statu quo impossible

Suite à l’analyse complète présentée jusqu’ici, l’auteur conclut que même si l’on admettait qu’une telle transition est irréalisable, tout montre que l’on ne peut pas rester dans la situation actuelle. Des esprits différents livrent une analyse différente de la crise actuelle, mais l’auteur estime que quoi qu’il en soit, l’idée qu’il faille plus de libéralisme et une compétition mondiale accrue est à courte vue et ne fait que « prolonger paresseusement les tendances passées ».

Selon Bihouix, « les signes avant-coureurs de gros ennuis potentiels ou avérés sont là » et sont impossibles à nier. Les « élites » politiques et économiques sont désordonnées. La planification politique et économique est rendue impossible par l’accélération du monde. Nous, consommateurs, voulons tout, tout de suite, et pas cher. On ne peut pas rester dans cette situation qui se paie au prix des délocalisation, du chômage et du mal-être au travail.

Les réactions basiques, simples, ne répondent pas aux défis à venir. Ainsi de l’attentisme (on ne fait rien et on laisse les gens payés pour cela s’en occuper), de fatalisme (on accepte et on en profite pendant que l’on peut encore) ou de survivalisme (on s’enterre dans un bunker avec des conserves et un fusil… mais, demande Bihouix, « que faire alors après la dernière cartouche ? »).

Au contraire, l’auteur affirme qu’il faut s’organiser pour vivre ensemble en société soudée. On sous-estime la possibilité de réduire fortement notre consommation sans « entamer les besoins fondamentaux »: moins se déplacer, manger moins de viande, moins gaspiller… La baisse drastique de consommation électrique au Japon suite à l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima a montré qu’une baisse immédiate de l’ordre de 20% peut se faire sans impact majeur sur la qualité de vie. Mais l’auteur prévoit que l’oligarchie en place « fera tout pour se maintenir en place, quitte à guerroyer toujours plus dans les pays riches en ressources et à saccager l’environnement jusqu’à l’extrême. […] Le capitalisme a montré sa capacité à se maintenir, à récupérer, à manipuler pour traverser les épreuves et les régimes ». Si rien de nouveau n’est tenté, l’adaptation se fera donc de force, avec des oligarques qui « s’arrangeront pour continuer à faire bombance, dans une société toujours plus sécuritaire afin de protéger leur pré carré ». L’auteur aborde alors 4 points majeurs de la transition.

Protéger l’emploi

L’auteur pointe que « la défense de l’emploi est l’argument numéro un invoqué pour continuer à accélérer malgré le mur, et empêcher toute radicalité dans l’évolution réglementaire ». Le programme de low tech présenté dans l’ouvrage attaque en effet beaucoup d’activités économiques (nuisibles), qui réagiraient en délocalisant leur production. Philippe Bihouix juge cependant que l’on peut tout simplement les laisser partir, à condition d’offrir des solutions « immédiates et tangibles » aux salariés concernés.

Il prend donc l’exemple de l’éventuelle fermeture d’une usine de production de canettes en aluminium. Les autres productions aux alentours n’étant pas touchées, le seul problème serait la mise au chômage et la perte de pouvoir d’achat des ouvriers touchés. L’auteur propose de définir des mécanismes visant à « éviter ou limiter fortement les conséquences sociales de la fermeture massive de certaines activités », tels qu’une assurance-chômage étendue, un revenu universel de base ou le partage du temps de travail. Selon son analyse, il resterait assez de production pour que ceux qui continuent à travailler ne soient pas « étouffés sous les impôts ». Il suggère donc de « faire décroître la consommation du superflu de pair avec les emplois correspondants, tout en maintenant la cohésion sociale. »

Toutefois, à l’échelle d’un pays, l’exportation de marchandises telles que les canettes de l’exemple servent à payer les marchandises importées (bilan global que l’on nomme la « balance des paiements »). Donc, pour ne pas trop déséquilibrer la balance, il faut plutôt commencer par renoncer à des importations, par exemple en relocalisant certaines productions.

L’auteur ajoute ensuite une critique intéressante sur l’adage qui veut que « la consommation crée des emplois ». Il postule qu’on peut le voir aussi dans l’autre sens: la consommation crée du travail. Ainsi, par exemple, la consommation ostentatoire des riches crée non pas de l’emploi mais un surcroît de travail – sans elle, et « à condition, encore une fois, de savoir se répartir le temps libéré de manière équitable », tout le monde pourrait travailler un peu moins. En partant du taux de rémunération du capital, l’auteur estime à 10 à 15% la part du travail directement imputable à la consommation des riches.

Pour conclure cette analyse de la question de l’emploi, Philippe Bihouix estime finalement qu’en appliquant les réformes présentées dans l’ouvrage et à condition d’une répartition équitable, on pourrait réduire le temps de travail à environ 3 jours par semaine, soit un énorme gain de temps et de qualité de vie. Cela passerait notamment par une forte réduction dans les services au profit d’une forte augmentation dans l’agriculture, ainsi que par une légère baisse dans l’industrie où les transferts seraient principalement internes.

Échelle de la transition

Comment réformer aussi profondément, et à quelle échelle, à contre-courant des engagements commerciaux et « alors que l’ensemble du monde accélère et que les échanges s’intensifient » ? Selon l’auteur, « il n’y a rien à attendre d’une quelconque organisation mondiale », car il est trop difficile de s’entendre avec tout le monde, et ce même en présence d’un état de dégradation avancé de la planète. Il vaut alors mieux chercher des coopérations avec les pays voisins et les partenaires économiques forts.

En effet, l’auteur estime que, d’un côté, agir à l’échelle individuelle ne suffit pas à faire changer tout le système et a surtout valeur d’exemplarité, les consommateurs subissant plutôt la situation et achetant ce qu’ils trouvent. D’un autre côté, l’échelle locale est intéressante et permet des expériences et des échanges, mais « les moyens d’action [y] sont limités, sans accès aux décisions de la force publique ». Bihouix estime alors que l’échelle pertinente est celle d’un groupe de régions, d’un Etat ou d’un groupe de petits Etats, échelle à laquelle « il est possible de raisonner et de prendre des décisions » et où « la puissance d’action de l’Etat reste considérable ». Les solutions doivent en effet être adaptées aux conditions locales et les populations pouvoir décider pour elles-mêmes.

L’auteur explique ensuite que l’Histoire donne plusieurs exemples de décisions unilatérales réussies, à l’image de l’abolition de l’esclavage décidée unilatéralement par l’Angleterre en 1833, qui fut votée malgré les résistances liées aux craintes des conséquences sur l’économie. L’Angleterre a ensuite fait pression sur ses partenaires économiques pour les pousser à suivre le même chemin, et a même lancé ses forces navales à la poursuite des bateaux négriers et réduire la rentabilité de la traite. L’auteur note que l’Angleterre était bien sûr une superpuissance, mais que même pour les petits pays, il est de toute façon déjà possible de prendre des décisions radicales en termes d’agriculture, d’urbanisme ou encore de gestion des déchets. Ensuite, des barrières douanières (taxes, normes) peuvent être mises en place pour protéger la production locale et pousser les partenaires commerciaux à s’aligner. Comme le précise Bihouix, « une large part de l’économie reste cependant nationale, et les échanges avec les pays frontaliers sont en général majoritaires ».

Changements culturels et moraux

L’auteur relève que les aspects culturels et moraux sont très importants et doivent être pris en compte. Il estime, tout d’abord, que les métiers socialement les mieux reconnus ne sont pas ceux qui apportent réellement quelque chose à la société dans son ensemble. Or les métiers manuels ne demandent pas moins de compétences spécialisées ni d’intelligence. Le système de valeurs devra donc évoluer, et les métiers tels que banquier, trader ou publicitaire devront disparaître ou fortement diminuer au profit des artisans. Cela n’est selon l’auteur pas incompatible avec la poursuite d’études poussées, car le temps pourra être partagé entre plusieurs types d’activités.

Concernant plus particulièrement l’éducation, Philippe Bihouix plaide ici pour que l’on y combatte la tendance utilitariste qui pousse à rendre les élèves « employables » en favorisant les branches « réputées les plus utiles ». Les enfants doivent comprendre « comment le monde quotidien fonctionne », via des visites d’ateliers, d’usines ou de décharges. L’effort et le mérite doivent également être à nouveau mieux reconnus.

Rendre la transition désirable

Selon l’auteur, on ne peut pas compter sur la solidarité pour les générations futures, car les citoyens font face à une quantité croissante de dépenses contraintes, et ne peuvent pas se serrer encore plus la ceinture pendant des générations pour que monde soit, peut-être, un peu mieux après.

Ainsi, pour que la transition puisse être réussie, il faut la rendre désirable aux yeux de la société, en se convaincant que le monde serait plus juste et que changer nous libérerait, et ce, immédiatement. Il explique par exemple qu’arrêter la voiture et prendre son vélo seul n’est pas désirable car l’on subit tous les inconvénients (pollution, risques…), pour peu d’avantages. Mais si tout le monde arrête la voiture en même temps, le gain de qualité de vie est massif (calme, nature, sécurité).

L’auteur admet également « qu’un monde de basses technologies, c’est la perte d’un certain « confort » matériel ». Mais il pointe alors du doigt les sacrifices qu’il a fallu consentir depuis la Révolution industrielle pour ce présumé confort, des travailleurs écrasés sous la pression aux richesses perdues de la nature. La transition serait aussi, selon lui, l’opportunité de retrouver des plaisirs simples et de donner un nouvel espoir aux jeunes générations qui vivent depuis leur naissance au rythme des actualités déprimantes, entre la disparition de la biodiversité et les accidents nucléaires.

Conclusion du chapitre

Pour finir, Philippe Bihouix déclare que « vu l’ampleur des changements à opérer dans tous les domaines et en si peu de temps […], le découragement guette ». Mais il n’est pas trop tard, car les boucles de rétroaction agissent aussi dans le sens positif: par exemple, la baisse du besoin en matières premières ou en pesticides provoquent une baisse de la demande énergétique. Si l’on a le courage de lancer les changements « par un ensemble de mesures à peu près cohérentes […], alors tout pourrait s’enchaîner très rapidement ». L’auteur appelle donc à ne pas sombrer dans le fatalisme: « si la transition est nécessaire, elle est surtout possible. Et nous en avons largement les moyens techniques, financiers, sociaux ou organisationnels ».

Conclusion

En conclusion à son ouvrage, Philippe Bihouix répète que l’on ne sauvera pas l’humanité avec des mesurettes ou avec toujours plus de technologie. Il ne faut pas croire aux « sirènes de la technique » qui nous disent que l’on pourra continuer ainsi, avec un confort inchangé, en ne polluant pas grâce aux nouvelles « technologies vertes ». Toute action a un impact, notre consommation provoque au bout de la chaîne des dégâts sur « les hommes, les forêts, les océans, les sols, les rivières, en bas de chez nous comme à l’autre bout de la planète ».

L’auteur livre ainsi un ultime plaidoyer: « partout, quand c’est possible, à toutes les échelles […], ralentissons, simplifions, débranchons, réduisons. Privilégions les objets durables, de basse technologie […]. Préférons les activités productives, les choses concrètes, la terre, la pierre, les plaisirs simples […]. N’ayons pas peur d’être ridicules, d’être pionniers […], de remettre en cause un peu de notre confort et de nos certitudes. » Il appelle à toujours se demander si l’on peut faire sans, si l’on peut faire moins ou plus simple.

Philippe Bihouix nous exhorte donc à ne pas avoir peur de réglementer et à ne pas compter sur l’autorégulation supposée du marché. Il propose d’attaquer en premier les domaines où les mesures sont « rapides, efficaces, exemplaires et visibles » telles que la voiture, les emballages, l’agriculture ou les produits jetables. Il appelle à s’associer, à attaquer en justice, à « être pénibles », à interpeller les élus et à prendre des décisions immédiates au lieu de planifier à long terme.

En réclamant une révolte contre la consommation ostentatoire des riches et en suggérant de ne pas hésiter à taxer, limiter et interdire si nécessaire, Philippe Bihouix rappelle que la liberté s’arrête là où commence celle des autres, et que des solutions que certains qualifieront de liberticides sont indispensables pour éviter que quelques-uns ne « pourrissent la planète ». Enfin, il lance un appel à « secouer les politiciens », tétanisés par la peur des résultats des prochaines élections, alors qu’un statu quo générera des frustrations qui pourraient bien leur être fatales.

Référence

Philippe Bihouix – L’âge des low tech

Éditions du Seuil, collection Anthropocène

ISBN 978-2-02-116072-7

2014, 330 pages

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