La notion de vitesse généralisée

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Écologie et société • Transition énergétique • Transports

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Timothée Chatelain
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La notion de vitesse généralisée étudiée dans cet article correspond à celle introduite par Ivan Illich dans son analyse de la crise de l’énergie [1]. Ce concept permet, admettant certaines hypothèses, de susciter des réflexions et des critiques sur nos modes de transports actuels.

Définition de la vitesse généralisée

La vitesse généralisée est une caractéristique d’un mode de transport et d’une situation sociale. Cette notion naît des observations suivantes : chaque mode de transport, à l’exception de la marche, possède un coût kilométrique, qui devra être assumé par ses usagers. En prenant l’exemple de la voiture, le coût kilométrique est calculé en considérant une composante fixe (l’amortissement de l’achat, les assurances reliées à la voiture, les impôts de circulations, etc.) et une composante variable (le carburant, les pneus, les réparations, etc.). Ces coûts sont ensuite ramenés au kilométrage en divisant par le nombre de kilomètres parcourus durant une période de temps (par exemple, une année).

Le coût du transport est assumé par l’usager, et peut donc être transformé en un temps grâce à une caractéristique de cet usager, qui est le revenu horaire que lui procure son travail. Le coût du transport est divisé par le revenu horaire de l’usager. Le résultat correspond finalement au temps de travail nécessaire pour amortir les coûts engendrés, pour l’usager, par le moyen de transport.

Ainsi dans la définition de la vitesse généralisée, le temps qui intervient correspond à la somme du temps effectivement passé dans le transport et le temps passé à travailler pour ce transport. Le premier est évalué par la distance parcourue et la vitesse moyenne du mode de transport et le second par le coût du mode de transport et le revenu horaire.

Les variables du problème sont les suivantes :

  • Vg : vitesse généralisée, en kilomètre par heure, inconnue du problème
  • Rh : revenu horaire, en francs par heure
  • Ct : coût du transport, en francs par kilomètre parcouru
  • Dt : distance parcourue, en kilomètre
  • Vt : vitesse moyenne du moyen de transport, en kilomètre par heure.

La vitesse généralisée se calcule par la formule suivante :

V_{g}=\frac{D_{t}}{\frac{D_{t}}{V_{t}}+\frac{D_{t}C_{t}}{R_{h}}}=\frac{R_{h}V_t}{R_h+C_tV_t}

Dans cette première définition, le coût du transport Ct est supposé constant et indépendant des autres variables du problème.

Applications

Le graphe de cette fonction pour l’exemple de la voiture est illustré par la courbe sur le graphique suivant. Les valeurs de Rh et Ct ont été fixées à 41 francs par heure et à 0.70 francs par kilomètre respectivement. Elles ont été déterminées sur la base du revenu mensuel moyen suisse [2] et sur un calcul effectué par le TCS [3]. Les traits rouges donnent un exemple de lecture du graphique pour une voiture qui roulerait à une vitesse moyenne de 50 kilomètres par heure sur un trajet donné et qui aurait par conséquent une vitesse généralisée de 28 kilomètres par heure.

Il est intéressant de noter que cette fonction admet une asymptote quand la vitesse moyenne tend vers l’infini selon la définition suivante :

\lim_{V_t\rightarrow\infty} \frac{R_hV_t}{R_h+C_tV_t}=\frac{R_h}{C_t}

Ainsi, la vitesse généralisée augmente avec la vitesse du moyen de transport mais sans jamais dépasser la valeur limite définie par le quotient de Rh et de Ct. Ce quotient, indépendant de la vitesse du moyen de transport, est uniquement fixée par des paramètres socio-économiques locaux. Sa valeur est illustrée par la droite horizontale sur le graphique précédent. En comparaison, le coût du transport dans le cas du vélo est si faible que le terme CtVt dans l’équation 1 est très proche de zéro et la vitesse généralisée Vg devient presque égale à la vitesse moyenne Vt.

La notion de vitesse généralisée met en évidence le mécanisme selon lequel une innovation censée faciliter la vie des usagers exige, de ces mêmes usagers, un accroissement de travail tel que les avantages procurés par l’innovation s’en trouvent totalement annulés, et que l’innovation en devient absurde. Certains moyens de transport en cours de développement risquent, à ce titre, de décevoir. Pensons aux véhicules volants individuels [4, 5] ou à l’Hyperloop d’Elon Musk. Mais ce mécanisme d’annulation des avantages mis en évidence par la vitesse généralisée n’existe pas que dans le domaine des transports. On peut, par exemple, supposer que la technicité toujours croissante des bâtiments modernes, censée faciliter les travaux d’entretien et minimiser les besoins énergétiques, nécessite parallèlement une activité économique qui ne réduit ni la quantité de travail globale, ni les besoins énergétiques, et c’est ainsi que le serpent se mord la queue.

Références

[1] Ivan Illich, Énergie et équité, éditions du Seuil, 1975.

[2] « Revenu moyen suisse en 2014 », Office fédérale de la statistique (OFS), 2015.

[3] « Frais kilométriques », Touring Club Suisse (TCS), 2018, https://www.tcs.ch/fr/tests-conseils/conseils/controle-entretien/frais-kilometriques.php

[4] Patrick J. Gyger, Les voitures volantes. Souvenirs d’un futur rêvé, Editions Favre, Lausanne, septembre 2005.

[5] Jean-Michel Gradt, « Airbus dévoile Pop Up, son projet de voiture volante », Les Echos, 13 mars 2017.

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Écologie et société • Transition énergétique • Transports

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Timothée Chatelain
Publié le: 08.12.2018
Révisé le: 29.07.2023

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