Vers des hôpitaux ventilés naturellement ?
Au Brésil, le réseau hospitalier Sarah traite des patients souffrant de problèmes locomoteurs. Trouvant ses origines dès la fin des années 1950, le réseau connut une expansion importante dès le début des années 1990 et ordonna, entre 1993 et 2009, la construction de neuf hôpitaux dans plusieurs villes du Brésil. Bien que ces hôpitaux soient situés dans des zones à climat tropical, leur conception – qui est la même pour tous les hôpitaux et qui est l’œuvre de l’architecte João Filgueiras Lima – leurs permet de fonctionner presque exclusivement sans air conditionné et sans ventilation mécanique. Cette caractéristique peut étonner en Suisse, où la plupart (si ce n’est pas la totalité) des hôpitaux sont entièrement ventilés et rafraichis mécaniquement.
La question de la ventilation des hôpitaux, et en particulier celle des salles d’opération, est complexe. Elle fait intervenir tout un corpus de connaissances basées, entre autres, sur les techniques de conception CVC, la mécanique des fluides et les techniques de prévention contre les infections nosocomiales. Ce sujet fait l’objet de nombreuses recherches publiées dans des journaux scientifiques. L’exemple original de la ventilation naturelle dans les hôpitaux du réseau Sarah soulève ainsi des questions intéressantes à propos des concepts énergétiques des hôpitaux [1]. Le but de cet article est de présenter le concept de ventilation des hôpitaux du réseau Sarah, de mettre ce concept en relation avec son contexte particulier (climat, type de patients, etc.), et d’en faire ressortir les points forts et les limites.
Fig. 1 – Vue extérieure de l’hôpital Sarah-Rio de Janeiro.
Climat
Les neufs hôpitaux du réseau Sarah subissent un climat tropical qui va du climat tropical équatorial au climat tropical de savane, en passant par le climat tropical de mousson.
Fig. 2 – Les différents climats rencontrés au Brésil et sur les sites des hôpitaux du réseau Sarah.
La température extérieure mensuelle oscille, par exemple, entre 19 et 22°C à Brasilia et se maintient à 27°C à Fortaleza. L’humidité affiche une plus grande variabilité selon les lieux et les périodes de l’année. L’humidité relative peut être élevée et stable toute l’année, comme à Rio de Janeiro, Salvador (80%) et à Belém (entre 80 et 90%), ou être plus basse et variable, comme à Brasilia (entre 50 et 75%). Il ne fait donc jamais extrêmement chaud, mais l’importante humidité rend le climat inconfortable. Les techniques d’architecture passives voient aussi leur efficacité réduite. Elles se résument à une importante ventilation naturelle, avec de très grandes ouvertures.
Un concept adapté aux climats tropicaux
Les neufs nouveaux hôpitaux du réseau Sarah sont tous conçus autour du même système de ventilation naturel, avec toutefois quelques variantes. La littérature scientifique disponible ne présente en détail que deux de ces hôpitaux. Dans l’hôpital de Salvador (1994), présenté dans [2] et [3], l’air frais est introduit dans l’hôpital par les couloirs du sous-sol. L’air traverse ensuite les lieux fréquentés par les patients, puis est extrait par d’imposants sheds en toiture. La littérature n’indique pas, pour cet hôpital particulier, comment la ventilation naturelle est conçue dans les salles de soins. Nous ne savons pas si les salles de soins sont cloisonnées ou si elles font partie du même espace que les autres salles. Dans l’hôpital de Rio de Janeiro (2002), présenté dans [3], l’air frais est introduit par des sheds en toiture semblables à ceux de Salvador, mais orientés dans le sens opposé. Le courant d’air passe ensuite par les salles de soins, le gymnase et les appartements. Il est enfin extrait par des sheds en toiture et par des ouvrants en façade. Il ne semble pas y avoir de cloisonnement entre les salles, du moins pas dans le sens longitudinal du bâtiment.
Fig. 3 – Systèmes de ventilation naturelle dans les hôpitaux de Rio de Janeiro et de Salvador-Bahia.
Dans l’hôpital de Rio de Janeiro, il existe un important espace de ventilation qui est séparé des zones utiles par des grilles mobiles, ou plutôt par une sorte de couverture mobile, qui permet probablement de moduler le débit d’air frais. La littérature disponible ne donne pas plus de détails sur cette couverture. On peut se demander comment et par qui elle est contrôlée et si le fonctionnement du système n’est pas altéré par des pannes de couverture.
La ventilation naturelle est l’une des techniques phares de l’architecture bioclimatique en milieu tropical. Il n’est donc pas étonnant de la retrouver aussi bien mise en évidence dans ce concept. S’il ne fait jamais très chaud sous les tropiques, l’humidité est souvent très élevée. La sueur s’évapore mal et l’impression de chaleur s’en trouve renforcée. Il est toutefois possible de réduire cette impression de chaleur en augmentant l’agitation de l’air (la convection) autour de la peau. C’est précisément ce que parvient à faire ce concept de ventilation naturelle, grâce à d’importantes ouvertures qui génèrent de larges courants d’air. Du point de vue du confort thermique, le concept de ventilation des hôpitaux Sarah offre donc une réponse adaptée à un objectif de simplicité et de sobriété énergétique dans un climat tropical. Mais dans un hôpital, le confort thermique n’est pas tout.
Ventilation naturelle et propagation des agents infectieux
Les systèmes de ventilation mécanique contiennent des gaines susceptibles d’abriter des agents infectieux ou de fournir des supports (poussières) propices à leur développement. Qui plus est, ces gaines sont difficilement nettoyables. De son côté, la ventilation naturelle offre un chemin très court entre l’extérieur et les occupants. Toutefois, la ventilation naturelle génère des courants d’air traversant qui pourraient accélérer la propagation d’agents infectieux. Il n’existe probablement aucune étude sur le rôle de la ventilation naturelle dans le développement des infections nosocomiales, car la grande majorité des hôpitaux est ventilée et rafraichie mécaniquement. Ainsi, on ne peut pas dire que la ventilation naturelle soit une technique applicable à n’importe quel type d’hôpital. Par contre, on peut dire qu’il existe certains types d’hôpitaux où la ventilation naturelle est tout à fait applicable. Les hôpitaux du réseau Sarah traitent des patients atteints de troubles locomoteurs qui ne souffrent probablement pas plus de maladies contagieuses que le reste de la population. Les systèmes de ventilation naturelle de ces hôpitaux ne propagent donc pas d’avantage d’agent infectieux qu’ils ne le feraient dans un hôtel ou un supermarché. D’ailleurs, le taux de prévalence des infections nosocomiales y est de 0.3% [1], ce qui extrêmement bas comparé aux 2 à 14% dans les hôpitaux suisses [4]. Dans les hôpitaux traitant des patients infectés, en revanche, un système de ventilation naturelle devrait répondre à des exigences bien plus élevées en matière de lutte contre les infections nosocomiales. Il n’y serait probablement pas permis de concevoir un système de ventilation traversante.
Le cas des salles d’opérations
Les salles d’opérations sont les seuls lieux des hôpitaux Sarah qui disposent d’une ventilation et d’une climatisation mécanique, tout comme les salles de stérilisation, les salles à rayons X et les auditoriums (à cause de l’importante densité de personnes). Si la ventilation naturelle permet de réaliser des économies d’énergie et de simplifier les installations techniques, elle ne permet pas un contrôle du climat intérieur aussi serré que la ventilation et le rafraichissement mécaniques.
En Suisse
Le climat tempéré suisse offrirait un rôle différent à la ventilation naturelle si celle-ci était pratiquée dans les hôpitaux. Tout d’abord, le climat étant en moyenne plus froid et moins humide qu’au Brésil, le système de ventilation naturelle ne nécessiterait pas d’ouvertures aussi imposantes que celles des hôpitaux Sarah. Ensuite, la ventilation naturelle ne servirait pas à augmenter la convection sur la peau des occupants, mais plutôt à évacuer les charges thermiques internes (personnes, appareils). Elle représenterait donc une alternative efficace et économe à la ventilation mécanique en-dehors de la période de chauffe.
Finalement, l’exemple des hôpitaux Sarah fait réfléchir à l’avenir possible de l’architecture hospitalière. La ventilation naturelle – et l’architecture bioclimatique en général – réduit la distance entre l’intérieur et l’extérieur. Le bâtiment se comporte comme si son enveloppe était plus transparente aux éléments. Dans un hôpital bioclimatique, le patient expérimenterait un cadre agréable et naturel, qui s’opposerait à l’architecture très technique et fonctionnelle que l’on trouve souvent dans les hôpitaux contemporains.
Bibliographie
[1] Interview de Lucia Willadino Braga, directrice du réseau Sarah, dans : H. Seingier : Au Brésil, l’architecture verte face au défi des tropiques. Immorama N°37, automne 2015.
[2] R. Tenorio : Sarah Kubitschek Hospital-Salvador, Brazil: principles for a healing architecture at latitude 13°. PLEA2006 – The 23rd Conference on Passive and Low Energy Architecture, Geneva, Switzerland, 6-8 September 2006.
[3] M. A. Lukiantchuki et al. : Natural Ventilation by Air Captors and Extractors Sheds in Hospitals in Brazil: Wind Tunnel Measurements. Journal of Civil Engineering and Architecture, Volume 8, N°10, pp. 1293-1303, October 2014.
[4] H. Sax, D. Pittet : Surveillance des infections nosocomiales en Suisse : méthodologie et résultats des enquêtes de prévalence 1999 et 2002. Bulletin Swissnoso, 2003.